Transcription Podcast #6

Episode 6 : Visualiser les données dimensionnelles – science short

Comment communiquer ce que vivent les forêts dans le cadre du changement climatique afin que des personnes qui ne sont pas climatologues le comprennent également ?

Les artistes Gisèle Trudel et Marc-André Cossette et la scientifique Blandine Courcot se sont justement posé la question. Dans le cadre d’un processus créatif, ils ont transformé des millions de points de données en une installation autant artistique que scientifique : Beech-Becomings.

 

Y :       Je me demande souvent pourquoi rien ne change. Je veux dire le changement climatique est un fait scientifique établi depuis longtemps et nous en vivons déjà les effets. Mais on a l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose.

B :       Je pense que nous ressentons toutes et tous un peu ce que tu évoques là. Mais le changement climatique reste une situation très difficile à appréhender dans ses diverses dimensions, dans sa complexité. Et les chercheurs, par exemple, savent peut-être déjà beaucoup de choses, mais ces connaissances doivent encore être transmises et parvenir jusqu’à nous, ou jusqu’aux politiciens qui pourraient faire quelque chose.

Y :       Absolument, et cela m’aide toujours de me rappeler qu’il y a déjà beaucoup de personnes et de projets qui s’occupent de ce thème et s’engagent pour que le savoir existant soit diffusé plus largement dans la société. C’est aussi le cas des chercheurs dont il est question aujourd’hui.

 

-INTRO-

Je m’appelle Bettina et moi c’est Yema, et voici le podcast Dear2050, sur ce que l’art et la science nous disent de l’écologie forestière face au changement climatique. Nous sommes curatrices du projet et dans cette mini-série, nous vous présentons quelques-unes des personnes et des projets les plus intéressants de notre exposition sur les forêts dans un climat en changement.

 

B :       T’as déjà entendu parler de données dimensionnelles ?

Y :       Yep, mais seulement parce que j’ai lu un article scientifique sur le sujet en préparation du podcast d’aujourd’hui. Ça a l’air compliqué, c’est vrai. Mais c’est à ça qu’on sert ; à parler des sciences climatiques d’une manière qui ne soit pas seulement comprise par les expertes.

B         L’idée qui se cache derrière Climanosco et Dear2050 est, entre autres, de rendre les sciences climatiques accessibles aux personnes qui ne sont pas scientifiques. Et nous considérons l’art comme un important porte-parole d’idées et de connaissances. Pour chaque projet, nous invitons donc les artistes et les scientifiques à nous soumettre leurs œuvres et leurs articles sur un thème précis.

 

-PAUSE-

B :       Dans une forêt de feuillus, on peut voir des échafaudages métalliques, des câbles partout, cela ressemble un peu à un chantier. Des haut-parleurs diffusent des sons. Des écrans géants sont accrochés aux échafaudages. Dessus, des points lumineux défilent, des lignes, des motifs… Un laboratoire d’exposition en pleine forêt !

Y : C’est le projet “Beech-Becomings” de Blandine Courcot, Gisèle Trudel et Marc-André Cossette du Canada.

B         Ils nous ont envoyé un rapport sur leur projet : Une installation artistique qui thématise les données de recherche au sujet d’hêtres. Le titre “Beech-Becomings” pourrait se traduire par “devenir-hêtre”.

B :       Le projet porte sur la question suivante : comment visualiser les données issues de projets de recherche de manière à ce qu’elles soient a) passionnantes et b) bien comprises, même par des personnes qui n’ont pas étudié les sciences climatiques.

Y         Souvent, lorsqu’on étudie quelque chose, on finit par amasser une grande quantité de données, de chiffres. On mesure toujours quelque chose et on l’exprime en chiffres. Dans le cas d’études simples, on peut encore représenter ces chiffres par des diagrammes en colonnes ou des camemberts pour illustrer les évolutions et les relations. Un diagramme à colonnes peut par exemple bien visualiser combien d’arbres on a compté dans une forêt au fil des ans, ou combien il a plu par année.

B :       Ce sont justement des données dimensionnelles, des données donc qui évoluent dans le temps et dans l’espace. Et la représentation visuelle des données de recherche peut aider à identifier des modèles qui passeraient inaperçus dans de simples tableaux de chiffres. Mais dès que les questions de recherche deviennent plus complexes et que l’on étudie plusieurs choses à la fois, ou que les données s’étendent sur plusieurs dimensions – dans le temps et dans l’espace – alors l’ensemble des données ne peut plus être représenté dans de simples diagrammes.

Y :       Et c’est exactement ce qui s’est passé avec “Beech-Becomings”.

 

-PAUSE-

 

B :       À l’origine de “Beech-Becomings”, il y a une vaste étude menée à l’échelle canadienne sur la manière dont les forêts évolueront dans l’espace et dans le temps en fonction du climat futur. Blandine Courcot est spécialiste des sciences de l’information et donc la candidate idéale pour cette étude. Elle connaît parfaitement l’étude de grandes quantités de données.

Y :       Courcot a étudié avec une équipe le potentiel hydrique du sol dans les forêts d’érables à sucre. Les forêts d’érables à sucre sont des forêts qui poussent typiquement dans les latitudes tempérées du Canada et qui sont très répandues jusqu’à une certaine limite nord. Outre l’érable à sucre, de très nombreux hêtres poussent dans ces forêts.

B :       Attends, il y a un autre terme technique qui s’est faufilé : le potentiel hydrique du sol.

Y :       Oui, le potentiel hydrique du sol, également appelé humidité du sol, est une mesure utilisée dans l’agriculture et dans la recherche sur les plantes. Elle indique la mobilité de l’eau à un endroit donné du sol, et donc sa disponibilité pour les plantes. En effet, ce n’est pas parce qu’un sol contient beaucoup d’eau que celle-ci est nécessairement disponible pour les plantes. Elles ne peuvent donc pas forcément l’absorber avec les petits poils de leurs racines. Le potentiel hydrique du sol ne mesure justement pas la teneur totale en eau du sol, mais seulement la partie qui peut être absorbée par les plantes.

B :       Et cette mesure fournit des indications sur la manière dont les forêts vont évoluer avec le changement climatique. Nous l’avons souvent entendu : les événements climatiques extrêmes deviennent plus fréquents avec le changement climatique, ils s’intensifient et durent plus longtemps. Chaque espèce d’arbre réagit différemment aux événements extrêmes, en fonction de sa capacité à résister aux changements, de sa résilience donc.

Y :       Le manque d’eau est synonyme de stress pour les arbres ?

B :       Jusqu’à un certain point, le stress peut être positif pour les arbres et ils peuvent s’en remettre pleinement. Au-delà de cette limite pourtant, le stress devient, comme pour nous, néfaste et peut entraîner la mort de l’arbre. L’endroit exact où se situe cette limite dépend de nombreux facteurs. Cette limite est appelée “tipping point” – ou point de basculement en français – et au-delà de cette limite, les dommages sont irréversibles. Plus un épisode de sécheresse dure longtemps et plus il est intense, plus le stress sera important pour les arbres et plus la probabilité que les arbres meurent est élevée.

 

Y :       Avec cette œuvre d’art, l’équipe voulait montrer comment les hêtres américains font face à des sécheresses brèves et intenses. Ces sécheresses sont appelées sécheresses éclair. Ce n’est qu’une partie de l’ensemble du projet de recherche, mais cette partie comprend déjà une énorme quantité de données.

 

B :       Les artistes voulaient ensuite créer une expérience sensorielle à partir des données scientifiques, afin que le public puisse comprendre et interpréter les données même sans formation scientifique. C’est pourquoi ils voulaient absolument intégrer l’élément du temps dans leur visualisation, afin de rendre les évolutions visibles. Cela aide à comprendre les changements.

 

-PAUSE-

 

Y         Ils ont donc commencé à travailler avec des animations. La représentation animée des changements spatiaux et temporels des données a donné naissance à quelque chose de proche d’une chorégraphie : les arbres et le sol sont étroitement liés et réagissent l’un à l’autre – la danse de l’arbre aux variations de la température du sol et de la disponibilité de l’eau.

B         L’exploration des formes et des couleurs a constitué un aspect central du processus de création. Les scientifiques les choisissent souvent de manière arbitraire, mais les artistes savent que les formes et les couleurs jouent un rôle important dans la compréhension et l’interprétation des représentations.

Y :       Les artistes ont donc expérimenté différentes visualisations, par exemple avec des cercles qui tournent ou des lignes et des points colorés. Ils ont notamment reproduit la division cellulaire et ont même programmé des systèmes de particules qui sont normalement utilisés pour animer par exemple de la fumée ou des nuages de vapeur.

B :       C’est ainsi que les animations ont donné naissance à des images de troncs d’arbres, de cellules de feuilles microscopiques : avec seulement des chiffres, ils ont créé des mondes magiques avec de l’eau, des branches et des racines.

Y :       Pour l’œuvre d’art finale, ils ont ensuite sélectionné huit designs différents et les ont associés aux données issues de la recherche. Par exemple, le potentiel hydrique du sol est maintenant représenté par des cercles qui tournent. Ces mouvements ressemblent alors presque à un tronc d’arbre avec des anneaux d’arbre. Ou encore, la représentation de l’humidité du sol fait penser à des racines qui poussent dans le sol.

B :       Tous ces systèmes changent au fil des saisons, du printemps à l’automne, et l’animation change avec.

Y :       L’équipe fait passer six mois de données en accéléré pour créer une animation qui ne dure que quelques minutes. Sans l’accélération, les changements seraient à peine visibles au niveau de la perception humaine, car ils sont beaucoup trop lents. Les points de basculement deviennent ainsi soudainement très visibles, car l’imagerie visuelle change drastiquement après une sécheresse éclair.

B         Et puis, pendant quelques semaines, l’installation était visible dans la forêt, par tous les temps, elle faisait presque partie de cette forêt. C’était presque comme si la forêt s’adressait aux visiteurs. Beaucoup de gens sont venus voir comment les hêtres réagissent à la sécheresse.

Y :       Je trouve remarquable que ce projet montre que la collaboration entre l’art et la science donne des résultats passionnants. La rencontre de ces différentes expertises donne des résultats créatifs.

B         Et de nombreux non-scientifiques s’y retrouvent davantage qu’avec de simples chiffres. De nombreux visiteurs ont apparemment déclaré dans une enquête réalisée sur place que les arbres étaient importants pour eux et qu’ils appréciaient de pouvoir en apprendre davantage.

Y :       C’est super motivant de voir que tant de gens essaient de trouver des stratégies pour rendre les connaissances sur le changement climatique plus accessibles !

B         Pour revenir à ce dont nous avons parlé au début de cet épisode : Ça me donne toujours un coup de boost de me rappeler que nous sommes nombreuses et nombreux à vouloir faire quelque chose contre les effets du changement climatique et de découvrir les possibilités qui existent bel et bien pour agir dans ce sens !

 

-OUTRO-

 

Et c’est tout pour aujourd’hui. Si vous voulez en savoir plus sur nos projets, visitez notre site web dear2050.org ou écoutez nos autres podcasts !

Avec notre projet Dear2050, nous associons en effet l’art contemporain et la science afin de rendre tangibles les connaissances sur le changement climatique. Par le biais d’expositions, d’événements culturels et de publications, nous présentons le changement climatique sous différentes perspectives. Dear2050 est le programme de médiation de l’association Climanosco. L’association est active en tant que maison d’édition scientifique et s’engage pour une science climatique indépendante et librement accessible.