Transcription Podcast #3
Épisode 3 : Les arbres autonomes de Krzysztof Wronski
Et si, pour une fois, nous ne nous concentrions pas uniquement sur les besoins humains, mais mettions ceux des arbres au centre de nos préoccupations ?
Krzysztof Wronski nous explique la pratique qu’il a développée, le “Tree Centered Design”. Il nous invite à explorer ensemble à quoi pourrait ressembler un processus de conception ou d’innovation qui se concentre sur les besoins des arbres (ou d’autres êtres vivants) plutôt que sur ceux des humains.
B : Nous sommes dans une pièce remplie de gens. C’est la semaine du design néerlandais et un groupe de personnes se réunit autour d’un artiste. C’est Krzysztof Wronski et il est en train de présenter son projet : Un arbre vivant dans un grand pot auquel sont attachés divers capteurs et appareils…
K : J’ai remarqué que les gens aimaient l’idée qu’un arbre puisse avoir plus de pouvoir et qu’on puisse lui parler. Il s’agit presque de jouer avec l’autorité. Pas comme un bon exemple, mais plutôt comme une critique de l’autorité. Que se passerait-il si un arbre était comme un policier ? Comment réagirions-nous à son égard ?
Y : Par son art, Krzys veut susciter le dialogue, explorer des alternatives et des scénarios d’avenir possibles. Pour “Autonomous Tree”, il dote les arbres de capacités qu’ils n’auraient pas autrement…
K : Les visiteurs avaient la possibilité de discuter avec l’arbre via un chatbot. Et j’ai enregistré ces conversations hypothétiques avec l’arbre, afin de pouvoir les regarder et les analyser. Il était intéressant de voir ce que les gens disaient à l’arbre lorsqu’il leur donnait une amende de 2300 euros pour leur mauvais comportement en tant qu’êtres humains. Bien sûr, ils n’ont pas vraiment dû payer l’amende, mais certaines personnes se sont mises en colère alors que d’autres ont dit : “Oui, je pense que j’ai mérité cette amende”.
K : Les gens ont trouvé cela très drôle et divertissant, car c’est à la fois sérieux et ludique. J’ai remarqué que mon travail vise d’une part à entamer un dialogue avec les gens sur un sujet sérieux, mais qu’il est aussi drôle et humoristique. Je suis fasciné par l’idée de pouvoir jouer avec la relation entre les humains et les autres êtres vivants dans le monde que nous partageons. Cela offre une nouvelle perspective : que se passerait-il si les arbres jouaient un rôle légèrement différent dans notre société ?
-INTRO-
Je m’appelle Bettina et moi c’est Yema, et voici le podcast Dear2050, sur ce que l’art et la science nous disent de l’écologie forestière face au changement climatique. Nous sommes curatrices du projet et dans cette mini-série, nous vous présentons quelques-unes des personnes et des projets les plus intéressants de notre exposition sur les forêts dans un climat changeant.
Bettina : Et aujourd’hui, nous parlons aux arbres !
Y : Ce qui me plaît dans le thème d’aujourd’hui, c’est que pour une fois, nous ne considérions pas le changement climatique du point de vue de l’humain. Les discussions sur le changement climatique peuvent parfois être à sens unique. Et Krzys nous permet, pour une fois, de ne pas considérer le changement climatique du point de vue de l’humain.
B : C’est ce qui est génial dans l’art sur le changement climatique, à mon avis. Chaque artiste a sa propre façon de réfléchir à ce défi.
Y : C’est justement ce que je trouve passionnant chez Krzys. En effet, d’une part c’est un designer commercial et d’autre part, il a cette pratique artistique spéculative dans laquelle il s’inspire des limites des méthodes de design habituelles et tente de les repousser.
B : Dans son travail artistique, il se demande avant tout une chose : que veulent les arbres ? De quoi ont-ils besoin ? Que souhaitent-ils ? Fallait y penser !
Y : Exact. En tant que designer, il travaille généralement centré sur l’humain lorsqu’il conçoit des produits. C’est une méthode qui a été développée pour s’opposer à l’idée d’un “designer de génie” qui saurait exactement ce qui est bon pour les gens. Le design centré sur l’humain est au contraire une méthode plus participative. L’idée est de concevoir des produits et des services en dialoguant avec les gens et en les adaptant ainsi aux besoins de votre groupe cible…
K : En tant que designer, j’essaie de trouver, avec les personnes qui ont un problème ou un défi particulier, d’où viennent leurs besoins et d’identifier ce dont elles ont besoin. Cela va souvent au-delà de l’évidence, de la superficialité. Nous essayons donc ensemble d’aller plus loin.
Et je me demande si nous pourrions faire la même chose avec les arbres, et au lieu du “design centré sur l’humain”, nous l’appellerions “design centré sur l’arbre”.
Mais comment travaillerait-on avec un arbre ? Comment travaillerait-on de manière participative avec un arbre ? Ou bien restons-nous toujours enfermés dans le rôle de patriarches de l’arbre ? Nous observons et croyons percevoir : “Oh, je crois qu’il a ce problème, maintenant je vais créer une solution à ses problèmes”.
Existe-t-il vraiment un moyen de créer une relation de partenariat avec les arbres ? Je n’ai pas non plus la réponse à ces questions, mais j’espère que mon projet permettra d’entamer un dialogue à ce sujet.
-PAUSE- RÉSIDENCE
B : Quand on parle avec Krzys, on sent son intérêt et sa fascination pour les sujets sur lesquels il travaille. C’est entre autres pour cette raison que nous avons été ravis de lui offrir un séjour de plusieurs semaines au PERL, le laboratoire d’écologie végétale de l’EPFL à Lausanne. Le groupe de recherche y étudie les processus d’adaptation écologique des plantes en cas de stress climatique. Pour en savoir plus, écoutez notre autre épisode du podcast..
Y : Il a pu y travailler en étroite collaboration avec les scientifiques, échanger et apprendre d’elles et d’eux.
K : Mon attente était d’en apprendre beaucoup sur les dernières découvertes concernant les arbres et les forêts et sur le lien avec le changement climatique. Quels sont les défis auxquels les arbres doivent faire face ? C’est la question que je me suis posée.
Il s’avère alors que nous n’en savons pas tant que ça sur la manière dont les arbres s’adaptent aux différents défis et contraintes. La recherche encourage la formation de ces connaissances, et je trouve cela très intéressant.
Mais elle ne cherche pas forcément une application pratique. Moi en revanche, j’ai considéré le sujet en me demandant : “Que pourrions-nous donner aux arbres pour qu’ils se sentent mieux ?” et “Pouvons-nous donner aux arbres une plus grande marge de manœuvre et, si oui, comment ?”.
Et je pense qu’il n’a pas été difficile pour les scientifiques d’imaginer ces questions. Nous avons organisé quelques ateliers communs au cours desquels les personnes participantes devaient peindre des images d’arbres dotés de nouvelles capacités, c’est-à-dire des choses que les arbres ne peuvent pas faire aujourd’hui, mais qu’ils souhaiteraient peut-être pouvoir faire.
K : Pour l’essentiel, j’ai fait trois choses avec les chercheurs :
J’ai interviewé autant d’entre elles et eux que j’ai pu et j’ai passé environ une heure par interview. Ensuite, j’ai fait quelques visites sur place, je crois que j’ai visité quatre sites de recherche. Parfois, il s’agissait du même projet à différents endroits et parfois, il s’agissait de centres de recherche et de projets totalement différents, dirigés par des personnes différentes également. Pour finir, j’ai organisé un atelier au cours duquel j’ai demandé aux personnes participantes d’imaginer avec moi des interventions possibles qui donneraient aux arbres une plus grande marge de manœuvre. Je pense que les interviews ont préparé les chercheuses et chercheurs à cette dernière activité, l’atelier, et qu’ils étaient alors prêts à participer à une sorte de…
Je leur ai dit : “C’est pseudo-scientifique”, ils ont accepté et participé. C’était vraiment amusant.
-PAUSE-WORKSHOP
B : Donc, après avoir passé des semaines à voyager avec les chercheurs et à s’immerger complètement dans leur travail, il a conclu sa résidence par l’organisation d’un workshop avec les membres du Lab. Tout le monde s’est réuni dans une grande salle du labo.
K : Environ douze à quinze chercheuses et chercheurs sont venus. J’avais préparé des cartes avec les différents besoins des arbres ou les défis auxquels ils sont confrontés. Et avec ces cartes, il fallait imaginer des interventions ou inventer des capacités par lesquelles l’arbre pourrait atténuer les menaces et les défis. Ensuite, ils devaient créer un storyboard montrant comment l’arbre, avec ses nouvelles capacités – c’est-à-dire celles qu’un arbre n’a pas aujourd’hui – coexisterait avec les humains. Puis, les personnes participantes ont présenté leurs storyboards A3, qui montraient une sorte de futur potentiel où les arbres auraient des capacités améliorées.
C’était intéressant de voir comment ils jouaient avec la relation entre les arbres et les humains. Je leur ai demandé d’y réfléchir, et je pense que ce groupe de chercheurs a fini par critiquer fortement notre société actuelle et les structures de pouvoir que nous avons mis en place, et par rejeter la responsabilité de ces menaces sur l’humain en premier lieu. En effet, la plupart des menaces auxquelles sont confrontés les arbres sont liées au changement climatique et sont donc le résultat de l’activité humaine.
Les questions critiques qu’ils ont posées à mon projet ont été particulièrement intéressantes. J’ai également beaucoup apprécié leurs critiques, car elles remettaient en question la notion de Tree Centered Design dans ce que j’explore.
Au final, j’ai donc eu l’impression que nous, les humains, étions les seuls à penser que les arbres devaient être moins stressés. Et nous développons alors une sorte de proposition de solution, mais uniquement pour nous, car l’arbre ne le souhaite peut-être pas. Nous ne pouvons pas vraiment lui demander.
L’arbre veut-il vraiment survivre ? On ne le sait pas. C’était passionnant qu’ils remettent en question cette idée de capacité d’action, surtout de savoir si on donne vraiment plus de capacité d’action à l’arbre ou si on ne fait que projeter sur l’arbre son propre désir d’obtenir un résultat.
B : Et en tout cas, jusqu’à présent, nous n’avons aucun moyen de le savoir.
Y : Tu essaies toujours d’amener les gens à réfléchir et à discuter.
J’ai l’impression que l’humour, ou peut-être même le sarcasme, est une sorte d’outil à cette fin ? Serais-tu d’accord avec cette idée ? Selon toi, quel est le rôle de l’humour lorsqu’on parle de sujets tels que le changement climatique ou la relation avec les arbres ?
K : Je pense qu’il y a quelque chose dans ma personnalité qui aime repousser les limites et exagérer un peu les idées pour obtenir un effet. Il ne faut donc pas tout prendre au pied de la lettre. C’est pourquoi j’essaie de dire aux gens qu’il ne s’agit finalement pas d’une pratique de design, car une pratique de design se concentrerait sur la recherche d’une solution à un problème, puis peut-être sur sa mise en œuvre. Pour moi, en revanche, il s’agit plutôt de jouer et d’expérimenter. Je conçois donc ces scénarios exagérés du type “et si ?”. Ensuite j’essaie de les amener dans le monde réel. Il est vraiment important pour moi que cela ne reste pas un simple concept sur papier, mais que nous brisions le paradigme de la simple exploration. Que se passerait-il si on essayait vraiment les choses ? Et comment les gens réagiraient-ils ?
B : Une idée qui a émergé de l’atelier était le thème de la migration, notamment du soutien à la “migration des espèces”, sur lequel Krzysztof est finalement revenu dans un projet :
K : J’ai fait voler quelques glands de chênes urbains avec un drone et un panier, et j’ai attaché un petit parachute à chaque gland. Ensuite, j’ai pu ouvrir le panier en l’air et les glands se sont envolés vers un autre lieu, un terrain de golf. C’est donc une histoire sur un bout de terrain qui, je trouve, représente très bien la colonisation des terres : un terrain de golf. Et puis on y jette des glands.
-PAUSE-
B : Je vois cette intervention comme un “acte de contestation”. Les arbres sont tout simplement impuissants face à beaucoup de choses, nous voulons un terrain de golf, donc les arbres sont abattus, et ensuite, il y a un paysage cultivé et brossé…
Et puis Krzys arrive et donne simplement aux arbres la chance de se réapproprier ce paysage …
Y : Les arbres retrouvent un peu de leur pouvoir d’action. Krzys, l’idée que d’autres êtres disposent également d’un pouvoir d’action et que nous pourrions aussi les placer au centre de nos innovations et de nos recherches peut-elle nous aider à faire face au changement climatique ?
K : Je lutte toujours avec la question de l’action des arbres. Parce que la recherche m’a montré – et me montre toujours – que les arbres sont des victimes. Dans les projets que j’explore, il s’agit vraiment de savoir comment je peux donner à l’arbre quelque chose qui le rende moins victime ou qui lui permette de faire face à la réalité. Et pour moi, cela ne ressemble toujours pas vraiment à une capacité d’action. Peut-être que ça aide un peu, mais nous n’avons pas encore – ou en tout cas je n’ai pas encore – atteint le point du projet où j’ai l’impression que les arbres dans leur ensemble vont mieux parce que ces expériences nous donnent de nouvelles idées. À mon avis cela ressemble encore un peu à la méthode de conception de la vieille école : “Oh, je vois que tu as ce problème, voici une solution pour toi”. Mais nous commençons à nous interroger sur quoi nous concentrons notre attention et pour qui nous concevons et explorons tout cela.
S’agit-il simplement de ceux qui ont le plus d’argent à dépenser ? Sont-ils centraux dans notre travail ? Ou pouvons-nous aussi commencer à réfléchir à toutes les différentes parties de la vie dont nous dépendons pour que cette terre prospère ?
Mon opinion est la suivante : oui, nous devrions investir dans ces domaines. Tu me demandes si nous devrions investir plus d’argent dans le voyage vers Mars ou pour essayer de mieux comprendre les arbres afin de les préserver sur Terre ? Peut-être que les deux sont possibles, mais quant à moi, je serais dans l’équipe des arbres.
K : En fin de compte, il s’agit donc de savoir sur quoi nous concentrons nos efforts en tant qu’humanité. Qui et quoi profite des innovations et des technologies et de notre attention ?
À mon sens, ce que nous pouvons offrir et donner aux autres espèces nous profite ensuite indirectement ou directement. Mais je pense qu’il serait intéressant de renverser la situation et de placer les autres espèces devant nous. Cela nous ramène à la question de savoir ce qui se passerait si ce n’était pas les humains qui étaient au centre, ni seulement les arbres – ce n’est qu’un seul exemple – mais tous les non-humains peut-être ? Est-ce que ça fait sens ?
B : Pour nous, oui ! Venez voir l’installation de Krzys dans notre exposition et écoutez aussi les autres épisodes du podcast. En tant que société, nous n’en sommes qu’au début de ces idées, mais je pense qu’à l’avenir, nous réfléchirons de plus en plus à la question de savoir si nous sommes vraiment la seule espèce importante…
-OUTRO-
Et c’est tout pour aujourd’hui. Si vous voulez en savoir plus sur nos projets, visitez notre site web dear2050.org ou écoutez nos autres podcasts !
Avec notre projet Dear2050, nous associons en effet l’art contemporain et la science afin de rendre tangibles les connaissances sur le changement climatique. Par le biais d’expositions, d’événements culturels et de publications, nous présentons le changement climatique sous différentes perspectives. Dear2050 est le programme de médiation de l’association Climanosco. L’association est active en tant que maison d’édition scientifique et s’engage pour une science climatique indépendante et librement accessible.
